Au fil de cet entretien, Daniel nous raconte comment, pris par une envie de changement, il a décidé d’adopter une coiffure moins courante que la coupe courte qu’il avait toujours arborée jusqu’alors. Il partage avec nous les différentes étapes par lesquelles il a dû passer, de l’afro aux twists, des twists aux tresses, optant finalement pour des nattes collées qu’il souhaite porter longues, sans savoir s’il se verrait les avoir sur du très long terme.
Il évoque ainsi son rapport à son apparence, l’impact des remarques qu’on a pu lui faire au fur et à mesure de ses diverses coiffures, ainsi que la perception qu’il se fait quant à la différence de pression sociale existant entre les hommes et les femmes lorsqu’il s’agit du port de leur texture naturelle.
Petit, quel était le rapport que tu entretenais avec ton apparence ? Et quel était celui que ton entourage, tes camarades de classe ou ta famille semblaient entretenir avec elle ?
Je ne me suis jamais vraiment grandement soucié de mon apparence, jusqu’à il y a deux ans (cf. Daniel a 26 ans), où j’ai eu le souhait de changer de coupe. Jusque-là je ne faisais que des dégradés courts, avec contours.
C’est par envie de changement que je me suis intéressé dans un premier temps aux twists, aux tresses, puis aux nattes collées. A force de voir des rappeurs notamment.
J’ai donc fait pousser mes cheveux dans le but de pouvoir porter cette coiffure, tout en regardant des vidéos qui me renseignaient sur la manière d’en prendre soin. Je mesurais ma longueur aussi, pour pouvoir voir comment le tout évoluait.
Encore maintenant, je n’ai pas la longueur que je souhaite. J’aimerais pouvoir porter mes cheveux plus longs, qu’ils arrivent à hauteur de mes épaules.
Enfant, qui est-ce qui te coiffait ?
C’est mon père qui s’occupait de mes cheveux. Il me les tondait sous la douche, à ras. On ne discutait pas de ce que je voulais avant.
Est-ce que tu aurais voulu formuler des envies particulières concernant tes coupes ou coiffures ?
Je sais que petit, j’aurais voulu pouvoir mettre du gel. Je pense que le fait qu’autour de moi beaucoup d’enfants puissent modeler leurs cheveux à l’aide de ce produit m’amenait à le vouloir aussi. On veut tous certaines choses que l’on ne peut pas avoir.
Tu portes tes cheveux en nattes collées, est-ce que c’est toi qui te coiffes, ou alors c’est une personne en particulier ?
C’est ma tante qui me coiffe. J’avais essayé de le faire moi-même au départ, mais même en m’y mettant pendant trois heures, je n’arrivais pas à obtenir le résultat escompté.
Avant elle, un ami de mon frère m’avait fait des twists, mais le résultat de cette coiffure-là est beaucoup plus éphémère. J’avais dû tout défaire après deux semaines. C’est après qu’elle m’a vu démuni que ma tante m’a proposé de me natter. Elle le fait bien, rapidement aussi, en une demi-heure si ce sont des nattes collées, un peu plus quant il s’agit de tresses.
Quel genre de moment vis-tu lorsque tu te fais coiffer ? Est-ce que c’est un moment que tu apprécies ou alors le fais-tu par contrainte ?
C’est un moment agréable je dirais. Comme un échange de bon procédé, avant d’aller me faire tresser chez ma tante je vais chercher mes cousins à l’école, j’en profite pour les voir et passer un moment avec eux.
Qu’a dit ta famille lorsque tu as pris la décision de te faire natter ? Quelle ont été les réactions ?
Ma mère a bien aimé, mon père me disait qu’une coupe courte était ce qui m’allait le mieux. De son côté, mon frère était ravi que je change pour une fois. Il est beaucoup plus téméraire que moi en terme capillaire, il a toujours eu des dégradés particuliers, des logos tondus sur le crâne... il aime bien tester. Il m’avait toujours proposé de changer de coupe pour faire quelque chose de différent, mais je n’en avais jamais ressenti l’envie avant.
Est-ce que tu penses que la manière dont ton frère se coiffe t’a influencé à vouloir expérimenter autre chose ?
Non, je pense vraiment que c’était par envie de changement et par exposition à certaines références que j’ai été plus intéressé par la longueur et le coiffage.
Tu es passé par plusieurs étapes qui t’ont amené à porter la coiffure que tu as aujourd’hui. Avant cela, tu exprimais le fait de ne pas trop te soucier de ton apparence. As-tu noté une différence dans la manière que les gens avaient de t’aborder au cours de la pousse comme au fil des différentes coiffures que tu as pu porter ?
Oui ! Comme j’ai essayé pas mal de coupes en très peur de temps, chacun a donné son avis sur chacune d’entre elles. Il arrivait que l’on ne s’exprime pas sur la coupe que j’avais au moment où je la portais, mais qu’on m’en parle dès que je changeais pour la prochaine. Suivant la coiffure, cela pouvait concerner le fait que l’une fasse plus sérieuse qu’une autre.
Est-ce que le fait que l’on te fasse peu à peu ce type de remarques t’as amené à plus te questionner quant à ton apparence ?
Oui, clairement ! J’ai porté l’afro pendant un an et demi avant de commencer à me natter, par envie, sans en prendre particulièrement soin. A ce moment-là, j’ai eu des regards jugeant sur moi. Pour autant, on ne me touchait pas particulièrement les cheveux. Par opposition à l’un de mes amis, qui porte une afro imposante et à qui cela arrive tout le temps.
On m’a déjà dit que je paraissais être froid au premier abord, là où lui est très extraverti et souriant. Les gens ne se gênent pas trop pour le toucher, notamment des inconnus en soirée, ce qui l’insupporte. Je sais que quand je suis avec lui, il y a des regards sur nous.
Globalement, je dirais que la conséquence a été que je faisais plus attention à mon apparence qu’auparavant.
Penses-tu que si c’était une femme qui était passée par toutes les étapes dont tu as parlé, elle recevrait autant, plus ou moins de remarques que cela a été le cas pour toi ?
Je pense qu’elle en recevrait moins, notamment parce que la pression sociale est plus grande en ce qui concerne l’apparence des femmes. Pour cette raison, j’ai l’impression qu’elle en prendrait plus grand soin que ce que j’ai pu le faire, et que de ce fait, les remarques seraient moins nombreuses.
Est-ce qu’en tant que garçon tu as la sensation que la pression est à peu près équivalente à celle que tu décris chez les femmes ?
Non, je pense que la pression est plus présente pour les femmes que pour les hommes, notamment parce que la plupart des hommes, qu’ils aient les cheveux crépus ou non, portent des coupes courtes qui les amènent à correspondre à une certaine norme. Lorsque tu es une femme, en particulier lorsque tu as des cheveux crépus, il semble plus complexe de se sentir libre de faire des coupes avec sa texture naturelle, ce qui mène à les porter lissés, à l’européenne.
Quel regard portes-tu quant à la démocratisation des différents types de boucles que ce soit chez les femmes comme chez les hommes ? Penses-tu qu’il est plus évident de porter ses cheveux texturés aujourd’hui que par le passé ?
Oui, je pense que c’est plus simple aujourd’hui. Si on porte un regard historique sur le cheveux crépus, l’afro pouvait avoir une signification politique, notamment par le biais du mouvement des Black Panthers par exemple. Aujourd’hui, toutes les coupes sont plus représentées, mieux représentées également. J’ai l’impression que l’on est plus amené à voir des personnes portant des coupes différentes, et qu’on est donc plus susceptible de les adopter. Je pense aux sportifs qui ont parfois des coiffures complètement loufoques par exemple, mais qui permettent tout de même leur médiatisation. Je me dis que si eux peuvent porter certaines coiffures, alors tout le monde peut le faire. Même si la starification et le contexte jouent un rôle.
Quel avenir vois-tu pour ta coiffure ?
Je pense que c’est passager. De par le fait que c’est un investissement de les entretenir, j’ai la sensation d’y prendre du plaisir maintenant, sans pour autant me voir le faire tout au long de ma vie. D’autant que je n’ai pas été habitué à autant de soins depuis petit. Je ne sais pas combien de temps je vais encore apprécier m’en occuper.
Est-ce que tu te dis qu’il y aura forcément une étape de ta vie qui va t’amener à devoir changer de coiffure ? Penses-tu par exemple que certaines étapes, comme la trentaine, la quarantaine, la cinquantaine (etc…) pourraient t’amener à changer de coupe afin d’opter pour quelques choses qui correspondrait plus à la norme dont tu parlais tout à l’heure ?
Non, j’ai un ami de mon père qui porte justement des tresses tout en ayant pourtant son âge.
Je les porterais tant que ça me plaira je pense. Je n’ai pas vraiment d’apriori par rapport aux coiffures en général, ni concernant les nattes collées.
Par contre, quand je portais mes tresses, on m’avait fait remarquer que cela ne faisait pas sérieux. Pour ma part je trouvais qu’elles me rajeunissaient, sans toutefois les associer à une attitude particulière. Le fait que l’on m’adresse ce propos-là n’a pas aidé à l’avis que je m’en faisais.
Aurais-tu un mot de la fin ?
Oui, je dirais que porter cette coiffure correspond à un engagement qui demande des efforts, et qu’il faut se rendre compte de l’investissement que ça peut représenter. Faire en sorte de toujours bien les hydrater, porter un durag pour dormir… ça n’a rien à voir avec une coupe lambda qui serait faite dans le cadre d’un simple rdv chez le coiffeur par exemple.
Merci à Daniel de s’être prêté au jeu de l’interview et d’avoir pris le temps de discuter de son expérience avec nous !
N’hésitez pas à partager cette interview avec des personnes portant des cheveux nattés, et les autres.
- Propos recueillis et retranscrits par YH –
Comments