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Yulia

Interview n°7 - Joana

Au fil de cet entretien, Joana nous raconte comment le fait de se raser la tête l’a rapprochée d’elle-même, quitte à l’éloigner de la validation de certaines personnes.

Le jeu en vaut la chandelle... !

Quel rapport entretenais-tu avec tes cheveux lorsque tu étais enfant ? Quelle était la relation de ta famille et de tes proches avec eux ?

L’image qui me revient en tête est celle du peigne à dents trop serrées que ma mère utilisait pour me coiffer. Je dirais que ma relation avec mes cheveux n’a pas toujours été évidente. Ma mère me faisait régulièrement des tresses, ainsi que d’autres coiffures traditionnelles. Elle m’a notamment fait des bantu knots, qui ont été largement moqués par mes camarades de classe de l’époque. Ce type d’événements m’a amenée à me demander pourquoi je n’avais pas les mêmes cheveux, lisses, que les enfants qui m’entouraient.

Dans ma famille, les cheveux crépus naturels (c’est-à-dire sans rajouts, sans tresses) sont connotés de manière négative. Mon entourage proche n’avait donc pas une très bonne image de ma texture de cheveux.


Est-ce que tes cheveux étaient défrisés lorsque tu étais enfant ? Ou portais-tu ta texture naturelle ?

Je dirais que j’ai commencé à me défriser les cheveux vers l’âge de 16 ans. Avant ça, ma mère me tressait. Elle me faisait tant des nattes collées que des tresses lâchées. Il y avait pourtant une ambivalence entre le fait que ma mère et moi trouvions cela joli, et le fait que les enfants de mon école se moquent de moi.

Ce sont ces moqueries qui m’ont amenée à vouloir faire comme les autres à 16 ans, et qui m’ont décidée à me défriser les cheveux. Ce processus les a fortement abîmés, au point de me retrouver avec des trous sur le cuir chevelu.

Ma mère m’avait pourtant prévenue des méfaits des défrisages, mais j’étais trop têtue pour l’écouter ou prendre en compte son avis.

A la suite des dégâts causés par ces défrisages je me suis mise à mettre des perruques, et des « piquets »

Avec le recul, penses-tu que tu te plaisais lorsque tu faisais usage de ces coiffures (défrisage, waves, perruques, etc...) ?

Je dirais que non. J’ai l’impression que c’est le manque de modèles portant leurs cheveux crépus naturels qui m’a amenée à vouloir faire toutes ces choses.

Ma mère me confrontait aussi à moi-même, me rappelant que je n’avais pas les mêmes origines que les personnes qui m’entouraient (cf. Joana a grandi dans le Jura Bernois, où sa famille était l’une des rares issues de l’immigration), et que donc, je n’avais pas à me comparer à eux. Pour autant, elle optait elle-même plus souvent pour les coiffures sur cheveux naturels que pour ces derniers eux-mêmes.

Te rappelles-tu du moment où tu as arrêté de te défriser les cheveux ?


Oui, c’était aux alentours de 19 ans, après une rupture amoureuse. À la suite d’une coiffure que j’avais faite avec un tissage court, mon copain de l’époque m’avait dit ne pas apprécier les femmes aux cheveux courts... notre relation ne s’est pas bien finie, et cette phrase a eu l’effet d’une petite graine qui a fini par pousser à la suite de notre séparation.

En parallèle de cela, à force de défrisages et de décolorations, mes cheveux s’étaient fortement détériorés, au point d’avoir une texture caoutchouteuse. C’est à ce moment- là que j’ai demandé à ce qu’on me rase la tête pour la première fois. C’était il y a sept ans.

J’ai ensuite porté mes cheveux très courts, puis en afro. Cette dernière coiffure me demandait trop de travail à mon goût Je l’ai portée pendant une année et demie, avant de me refaire couper les cheveux courts par Mahine. J’ai vraiment apprécié avoir les cheveux courts, et mes deux centimètres de longueurs me convenaient très bien, mais à l’âge de trente ans, j’ai eu l’envie de passer le cap, et de raser mes cheveux pour de bon.

Pour moi, c’était vraiment une manière de me dire que je m’acceptais comme j’étais, et que je ne me souciai plus de ce qu’un futur partenaire allait en dire !

D’ailleurs, je trouve que toute femme devrait un jour se raser la tête, ne serait-ce que pour se rendre compte du fait qu’elle restera belle, même sans ses cheveux.


Tu disais tout à l’heure que tu avais eu de nombreuses remarques quant à tes cheveux, notamment tes cheveux naturels. Quel effet cela te faisait lorsque tu recevais ces commentaires ?

Au départ je pensais ne pas y prêter attention. Mais en réalité, je me rends compte que ça a impacté la manière dont je me voyais. Par exemple, lorsque j’approchais de la trentaine et que j’avais les cheveux courts, ces remarques m’ont fait me demander si, pour rencontrer un homme qui me plaisait, il ne fallait pas que j’aie une coupe « plus féminine ». C’est inconsciemment que j’ai intégré ces idées, qui sont par la suite devenues des craintes.

Est-ce que tu as l’impression que ce que l’on associe à la femme a changé ces derniers temps ?

Je dirais que ces derniers temps oui, mais il y a de cela encore quelques années, non. Lorsque je suis venue vivre dans le canton de Vaud, les femmes noires portaient pour la plupart la coupe de Naomi Campbell : c’est-à-dire la frange, et les longueurs raides.

Je vois que maintenant, beaucoup plus de femmes noires portent leur chevelure naturelle, ou des coupes traditionnelles africaines.

Cependant, rares sont les femmes qui se rasent les cheveux.

La plupart du temps, les femmes se rasent la tête de manière à tendre vers quelque chose d’autre (coupe garçonne, big chop, etc...) et, dans la conception globale, le fait de se raser n’est qu’un passage vers une suite logique, et non pas une coupe en soi...


Oui ! Je pense que c’est parce qu’il existe pas mal de préjugés associés aux coupes avec chevelures rasées. Lorsque j’avais mes contours faits, certaines personnes s’étaient soudainement mises à questionner mon orientation sexuelle. Je remarque aussi que le regard des hommes a changé depuis que j’ai le crâne rasé. Une amie me disait qu’elle remarquait le même changement lorsqu’elle portait ses cheveux tressés ou naturels, par opposition aux périodes où elle portait des tissages lisses. Elle me confiait que c’était une crainte qu’elle avait, de ne pas plaire autant.

Dans mon cas, me raser était un acte pour moi. Et même si je sens que le regard des autres a changé, j’ai en contrepartie le plaisir de me trouver belle.

Honnêtement, je peux me dire qu’en ce début de trentaine, j’ai finalement réussi à m’apprécier ! J’écoute moins les remarques que l’on peut me faire : c’est comme si avec le temps, j’avais appris à écouter les gens d’une oreille, et non plus avec les deux !


Trouves-tu que le type de beauté que l’on met en avant dans les médias a changé ces dernières années ?

Pas beaucoup... je constate qu’au lieu de se diversifier, les standards de beauté on surtout migré. Là où j’étais moquée pour mes formes et mes lèvres pulpeuses lorsque j’étais plus jeune, je les ai vues devenir les nouveaux standards.

Idem pour les cheveux, je ne vois pas assez de différences dans les coupes mises en avant sur les réseaux ou dans les médias traditionnels. Mis à part les marques comme SAVAGE X FENTY (cf. marque de lingerie fondée par Rihanna) qui montrent tous les types de corps lors de leurs défilés, je ne trouve pas qu’il existe tant de diversité que ça.

Quel œil portes-tu sur les réseaux sociaux et le rôle qu’ils peuvent jouer vis-à- vis des jeunes ?

Je trouve qu’ils peuvent jouer un double rôle ! Mauvais et bon à la fois. On se perd tous plus ou moins lorsque l’on est jeune, et le fait d’avoir toujours sous les yeux des personnes à qui se comparer n’est pas forcément salvateur. D’autant plus que les réseaux aussi romancent la réalité.

Même pour moi, qui suis plus âgée et qui choisis attentivement les personnes que je suis, je fais des pauses pour m’éloigner des réseaux. Je trouve que ça peut parfois devenir néfaste.

Justement, quel regard portent tes proches plus jeunes sur cette coupe que tu arbores ? Y a-t-il une différence générationnelle dans leur réaction ?

Oui ! Récemment, une connaissance me disait que plus tard, elle voudrait être comme moi ! Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu que j’affirmais ce que j’étais à travers mon apparence. Pour elle, le fait d’avoir le crâne rasé est une manière de se départir du regard des autres.

Même si en réalité, je pense qu’il y a mille manières de s’éloigner de l’importance que l’on donne aux regards que les autres nous portent.


Est-ce que tu as l’impression que ton apparence, et la manière dont tu te l’appropries ont changé avec cette nouvelle coupe ? T’habilles-tu différemment par exemple ?

Je dirais que ce changement s’est surtout opéré il y a sept ans, lorsque je me suis rasée la tête pour la toute première fois. Je sais que ça m’avait donné l’envie de mettre plus de rouge à lèvres, plus de robes. Je me suis mise à porter des chapeaux également. Ça m’a aidée à porter des vêtements que je n’avais pas l’habitude de mettre.

Aurais-tu un mot de la fin ?

Oui ! La beauté n’est pas que physique ! Et même si c’est important de se sentir bien dans son corps, c’est également primordial de pouvoir se sentir bien avec ce que l’on est.

Je dirais également que personne ne va nous aimer à notre place, alors autant se donner l’amour que l’on se souhaite !

Merci à Joana pour le temps et la confiance accordés lors de cet entretien !


Crédits image: Malik Roberts


Propos recueillis et retranscrits par Yulia Huruy

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